Les légendes noires sur Galilée
Une enquête auprès des étudiants en sciences de la Communautés Européennes a révélé que 30% d'entre eux sont faussement convaincus que Galilée a été brûlé vif par l'Église, et 97% pensent erronément qu'il a été soumis à la torture. Pourtant il n'y eut ni bûcher, ni torture (même s'il semble y avoir eu menace de torture), contrairement à ce que beaucoup, mal informés, croient ou affirment. Jamais non plus Galilée ne s'est relevé en râlant tout bas: "Eppur si muove! (Et pourtant, elle tourne!)" Cette phrase légendaire fut inventée un siècle après la mort de Galilée, en 1757 à Londres par Giuseppe Baretti, un journaliste brillant mais pas toujours crédible. L'Histoire Générale de l'Astronomie publiée à Paris en 1755 affirme faussement que le tribunal lui fit crever les yeux. Berthold Brecht écrit une pièce, la "Vie de Galilée", où il juge sévèrement la soumission poltronne de Galilée au diktat du tribunal de l'Inquisition, ratant ainsi son héroïque martyre dans la défense de la vérité, héroïsme qui aurait pu être historique.
Galilée a souvent été pris comme cheval de bataille contre le soi-disant obscurantisme de l'Église. Mais la recherche de la vérité nous pousse à regarder cette période difficile de l'histoire des sciences et de leur juste autonomie, avec plus de nuances, de circonspection et moins de passions.
Galilée (1564-1642) naît à Pise en 1564 au lendemain de la Réforme protestante et du Concile de Trente. Il reste à Pise pendant toute sa jeunesse et ses études. En 1589 il est nommé professeur. Il s'intéresse aux mathématiques et aux sciences physiques. Rapidement, son prestige lui permet d'aller enseigner à Padoue en 1592.
L'époque réputée aujourd'hui comme dangereuse à cause de l'Inquisition est pourtant aussi le début de grands débats et d'un éveil scientifique, également au sein de L'Église. Depuis plus d'un siècle, l'Italie connaissait une Renaissance florissante donnant goût à la recherche et à la philosophie. Les universités s'y étaient développées et beaucoup d'idées étaient débattues en public. Des sociétés savantes étaient apparues. Dès le début du 16e siècle, dès l'avènement de François 1er (1515: il favorisa grandement la diffusion de l'humanisme en France), surgit un courant d'aspirations nouvelles dont la cause est liée à un intérêt accru pour le monde, contrairement au Moyen Age où on centrait plus la vie sur le spirituel. Cet intérêt va de pair avec la discussion et la polémique, et s'explique par une série d'événements historiques: la chute de Constantinople (1453), les voyages de Colomb (1492), Vasco de Gama, Magellan, avec les problèmes liés aux nouveaux mondes, l'imprimerie de Guttenberg, Léonard de Vinci, la révolution copernicienne, la Renaissance des lettres et des arts, l'humanisme philosophique d'Erasme, la culture des langues vernaculaires et antiques, Luther, Marot, Calvin, Zwingli, les guerres de religion, etc. Au 16e siècle déjà, beaucoup d'ecclésiastiques participaient activement aux débats (pensons aux moines Rabelais et Luther, au chanoine Copernic, etc). Après la Réforme protestante et la contre réforme catholique, la défense de la foi sur les terrains scientifique, philosophique, théologique, exégétique, apologétique était à l'honneur. Elle s'accompagnait d'un grand effort intellectuel tant du côté protestant que du côté catholique (1). Les sciences sont à l'honneur dans les discussions. C'est dans ce milieu intellectuel en effervescence que Galilée évolue.
Géocentrisme ou héliocentrisme?
En ce qui concerne l'astronomie, le retour aux grecs était à l'honneur. Les grecs avaient conçu les divers systèmes possibles du monde. Deux principaux systèmes se retrouvent à cette époque reculée:
Géocentrisme: Anaximandre (~ 610 à 547 av. J.C.), la terre est un disque suspendu au centre de l'univers.
Le système géocentrique amélioré par Hipparque (~150 av. J.-C.) et Ptolémée (90-168 av. J.-C.), longtemps adopté pour sa compatibilité avec l'exégèse, concevait la terre immobile, tout le reste tournant autour (2).
La controverse entre ces système n'apparaît qu'au 16e siècle. Le chanoine catholique Copernic (Pologne 1473-1543) établit un système comparable à celui d'Aristarque. Mais ce système semble contredire l'inerrance de la bible ( = bible sans erreur): par exemple, quand Josué arrête le soleil dans sa course pour allonger le jour et gagner la bataille de Gabaon (3).
Copernic a eu la prudence de présenter son système comme un ensemble d'hypothèses de travail qui, il faut l'ajouter, n'eurent pas tellement de succès de son vivant. Mais sa violente condamnation par les fondateurs du protestantisme Luther et Melanchton, lui vaut en retour la complaisance de Rome, qui permet sa diffusion. L'Évêque de Kulm fait éditer à Nuremberg son De revolutionibus dédié au pape Paul III. Par prudence, Copernic présente en préface sa théorie comme une pure hypothèse mathématique.
Un autre astronome, Tycho Brahé (Danemark 1546-1601) intermédiaire entre géo- et héliocentrisme (4) , fait des observations astronomiques fouillées qui servent aux arguments de Galilée. Kepler (Allemagne 1571-1630) lui succède à sa mort, et penche en faveur des thèses coperniciennes. (5)
Galilée s'intéresse à l'optique construisant un des premiers microscopes. Il découvre la lunette astronomique, ancêtre de nos télescopes, et observe les librations de la lune ainsi que les phases des croissants de Vénus ou encore les évolutions des quatre satellites de Jupiter (6). Toutes ces observations et son étude des marées lui donnent l'intuition que la système de Copernic est le bon. De fait, ce n'est qu'une intuition, car les marées et les observations de Galilée ne sont pas des preuves définitives de l'héliocentrisme. Il faudra attendre 150 ans avant d'en avoir des preuves convaincantes (7).
En 1610, il publie le Sidereus Nuntius ( "Messager des étoiles") et s'installe à Florence, protégé par le duc de Toscane. Cette publication le fait entrer dans l'Académie des Lynx (Lincei), une société savante fondée en 1603, comptant en son sein plusieurs ecclésiastiques modernes ouverts aux sciences et techniques nouvelles: entre autres, le cardinal Barberini, le futur pape Urbain VIII. Galilée y trouvera de nombreux appuis influents.
Premières controverses et premiers ennemis
Nommé mathématicien officiel du grand duc Cosme II de Toscane, Galilée reçu les honneurs pour ses recherches. Exposant éloquent de l'héliocentrisme, il fut applaudi par le Collège romain, et honoré du pape Paul V. Mais cette théorie devait tôt ou tard affronter l'exégèse biblique. Entre temps, diverses controverses vont lui créer des ennemis. En 1612 dans la controverse des corps flottants (pourquoi certains corps flottent et d'autres coulent), Galilée met en évidence l'erreur d'Aristote, philosophe grec à la base du système thomiste soutenu par les dominicains. L'année suivante, le problème des taches solaires l'oppose aux thèses d'un jésuite: le père Scheiner soutient la thèse aristotélicienne de la perfection immaculée du Soleil, corps céleste le plus parfait, roi du ciel, image de la gloire divine. L'observation astronomique donne cependant raison à Galilée. La polémique restera vive.
Plusieurs jésuites seront cependant de cur avec Galilée, comme Mgr Dini le lui fait savoir. Le cardinal Barberini soutient Galilée dans ses joutes et ses démonstrations. A la même époque, Galilée commence à défendre le système héliocentrique de Copernic suite à un écrit géocentriste de Ludovico delle Colombe fondé sur l'exégèse biblique. La discussion tourne à la controverse avec divers religieux. Galilée tente la conciliation en s'expliquant devant certaines personnalités troublées par ses dires. En 1615 Il rédige une lettre à Christine de Lorraine (8) où sa position est une leçon de prudence dans l'exégèse biblique (9).
Néanmoins Galilée ne sera pas aussi prudent pour ses recherches scientifiques, contrairement aux conseils du cardinal Bellarmin ( 1621). Ce membre du Saint Office comprend la position délicate de Galilée, et le prévient du danger de suivre ses hypothèses scientifiques sans discernement. Il lui conseille de rester prudent, de ne parler que d'hypothèses, et l'enjoint à s'en tenir à une recherche sincère et honnête de la vérité. Si son système est vrai, il lui faudra le démontrer avec des preuves plus convaincantes que celles qu'il présente, surtout au vu des implications exégétiques. Bellarmin avait connu le problème débattu âprement par les astronomes Brahé et Copernic: il sait que le dernier mot n'est pas facile à dire sur ce sujet. Il craint que Galilée ne se laisse emporter dans un débat qui le dépasse faute de confirmation. Jean-Paul II écrit à ce propos en 1992 : "C'est pourquoi il (Galilée) a refusé la suggestion qui lui était faite de présenter comme hypothèse le système de Copernic, tant qu'il n'était pas confirmé par des preuves irréfutables. C'était pourtant là une exigence de la méthode expérimentale dont il fut le génial inventeur." (10)
D'ailleurs la démonstration de Galilée à partir des phases de Vénus était même critiquée de son vivant par des coperniciens comme Kepler, l'un des piliers de l'astronomie moderne (11).
La pression des adversaires de Galilée est imparable, parce que l'inerrance même de la Bible est en jeu. Mais ce ne sont pas les uvres de Galilée qui en ont souffert. En 1616 plusieurs uvres de Copernic sont interdites par le Saint-Office presque un siècle après leur parution: son Commentariolus (1506) destiné à ses amis et de publication posthume, et surtout son De revolutionibus (1540) que nous avons cité ci-dessus, bien que ce livre dédié au pape Paul III ait été une véritable coproduction catholico-protestante (malgré ou à cause des condamnations de Copernic par Luther).
En tout cas, en 1616, pour le Saint Office, affirmer que le soleil est immobile au centre du monde est scientifiquement faux et "formellement hérétique", car contraire aux Écritures. Les uvres de Galilée sont épargnées, mais il est convoqué par Bellarmin pour une mise au point. Il est manifeste que le revirement de l'Église est dû à l'irruption des discussions entre Galilée et ses opposants sur les méandres de l'exégèse biblique.
Le cardinal Barberini, le futur pape Urbain VIII, s'oppose cependant à la condamnation de Galilée et préfère une censure. C'est la solution adoptée pour notre savant. Copernic s'était bien gardé de toute allusion à la bible. Galilée est forcé d'en parler par ses ennemis qui se serviront de la contradiction apparente avec l'Écriture Sainte pour l'attaquer sur le terrain délicat de l'exégèse et le faire ainsi condamner. Il est cependant remarquable de constater que Galilée fait de la bonne exégèse, comme le montre sa lettre à Christine de Lorraine, mais emporté dans la discussion au point de tenir pour vrai ce qui n'était encore qu'une hypothèse à son époque. Galilée manque de prudence dans l'application de sa méthode expérimentale et hypothético-déductive.
La première condamnation de 1616 l'oblige de ne plus enseigner l'héliocentrisme. Une recherche personnelle reste néanmoins permise, surtout dans d'autres domaines bien entendu. En 1618 une nouvelle controverse, sur les comètes cette-fois-ci, oppose Galilée à de nouveaux adversaires. Suivant son intuition des mouvements célestes, il croit qu'il n'existe que des orbites circulaires. Mais il se trompe: l'observation montre les comètes suivant des orbites elliptiques. Galilée prend alors l'explication d'Aristote au grand contentement des moines dominicains: les comètes ne seraient pas des corps célestes, mais des exhalaisons brumeuses de l'atmosphère. Cette controverse porte aux yeux de certains un discrédit sur sa méthode.
Pendant plusieurs années, Galilée obéira à l'injonction de 1616 l'enjoignant de ne plus parler d'héliocentrisme. Mais un événement majeur va survenir en faveur de Galilée en 1623 : Le cardinal Barberini, passant pour libéral, ami de Galilée et membre comme lui de la société des Lynx, devient le pape Urbain VIII. Galilée lui dédie son livre "Il Saggiatore" qui est officiellement offert par l'Académie des Lynx. Galilée va aussi recevoir l'imprimatur pour une réponse critique à un anti-copernicien, le P. Grassi.
Galilée triomphe et va voir le nouveau pape à plusieurs reprises. Le courant passe bien entre les deux hommes. Il tente de le rallier à la thèse copernicienne.
Galilée est un fervent catholique, mais aussi d'une vie privée peu édifiante. Il eut un garçon et deux filles hors mariage avec une vénitienne Marina Gamba. En partant de Padoue pour la Toscane, il abandonna cette dernière, lui arrachant les enfants. Il força ses deux filles de douze et treize ans à entrer en religion. Virginia, l'une des filles de Galilée, qu'il aime beaucoup, prit le nom de sur Maria-Céleste. Elle jouera un rôle non négligeable dans la soumission de son père aux décisions des tribunaux ecclésiastiques. L'autre, Livia, devenue sur Arcangela, se rebiffe devant cette vocation précoce forcée et deviendra neurasthénique. Chose étonnante: le tribunal ecclésiastique de l'Inquisition ne tient pas compte dans les procès de la vie privée de Galilée.
Dans ce contexte, malgré la condamnation de 1616, il obtient verbalement du pape la permission d'exposer contradictoirement les thèses de Copernic, c'est-à-dire sous forme d'un débat à la S. Augustin entre divers personnages. A Florence, il se met au travail et conçoit un dialogue de quatre journées entre trois personnes. Il choisi des personnages passés: les deux premiers sont des amis personnels décédés, Salvati (héliocentriste) et Sagredo (géocentriste qui se convertira à l'héliocentrisme); le troisième, Simplicius un mathématicien du 6e s. commentateur d'Aristote est choisi pour sa vision traditionaliste et bornée (choix probablement dicté par la signification du nom: simplet). Le premier jour, la discussion tourne à la critique des idées d'Aristote et à la défense des mathématiques. Les deux jours suivants attaquent l'immobilité et la centralité de la terre. Le 4e jour expose l'argument des marées (qui est scientifiquement faux) (12).
Le choix malheureux du nom du défenseur d'Aristote, aurait pu passer
inaperçu, grâce aux appuis dont Galilée jouissait. Mais un nouvel événement va durcir
la position de l'Église. Cette dernière ne veut pas être mise en contradiction avec la
condamnation de 1616. Galilée obtient difficilement le nihil obstat et l'Imprimatur
(permission d'imprimer) et ne peut le publier que moyennant quelques retouches.
L'uvre devra avoir pour titre "Dialogue sur les deux grands systèmes du
monde". Il est prié par la censure d'insérer un argument sur la possibilité
d'une autre explication, tenant compte de la toute puissance de Dieu, qui peut faire et
soutenir dans l'être des choses selon des modes qui nous dépassent totalement. Galilée
fait ces ajoutes, mais très maladroitement. Le livre est publié en 1632. Le ton est
mordant, le style est vif. On dirait que Galilée savoure sa revanche sur ses adversaires
de 1616. Il semble cependant que le pape lui-même ait indiqué ce dernier argument.
Peut-être Galilée ne le savait-il pas. Il a inséré cet argument correctif en fin de
discussion, dans la bouche de Simplicius après avoir ridiculisé ce dernier tout
au long du livre.
Mais plus grave encore, la plupart des lecteurs voyaient en Simplicius non seulement la thèse de l'Église de 1616, mais encore l'opinion du pape actuel, pourtant son ami et défenseur. Lorsqu'Urbain VIII lit le livre, il entre en colère contre son ami, estimant qu'il dépassait les bornes de la prudence et de la politesse. Le volte-face du pape, qui l'avait encore reçu quelques mois auparavant au sujet de ce livre, fut un coup de tonnerre pour Galilée. Urbain VIII autorise dès lors l'ouverture d'une procédure judiciaire contre Galilée. Défendre encore un tel ami trop audacieux est intenable pour le pape. Il l'abandonne. Galilée a été victime de sa désinvolture. Il forçait trop le pape à régler un problème qui divisait les catholiques et mettait en péril la foi populaire. Il diminuait le pouvoir moral du pape sur ses religieux. Urbain VIII était-il personnellement choqué par Galilée? Je ne le pense pas. Pendant et après le procès, le pape continue de l'estimer comme un ami, ainsi qu'il l'a confié à Niccolini, l'ambassadeur de Florence.
L'ouverture du procès accueille un Galilée déjà vieux et fatigué. Pendant l'instruction judiciaire, il est l'hôte de Niccolini. Le neveu du pape, un autre membre des Lynx, présidera le procès. Le chef d'accusation? Avoir désobéi à l'interdit du Saint Office de 1616 de diffuser la théorie copernicienne. La faute est donc non pas d'hérésie (ce qui aurait été grave) mais purement disciplinaire.
Ainsi en 1633, l'Église n'entend plus discuter de la théorie héliocentrique, l'affaire ayant été étudiée par le procès précédent,Rolex Replica mais plutôt de la question de l'obéissance de Galilée au décret de 1616. Du 12 avril au 22 juin, Galilée comparaît trois fois devant ses juges. Le président lui envoie entre deux séances des émissaires lui demandant de se montrer coopératif. Ce que Galilée accepte visiblement: il fera son autocritique dans la 2e séance. La dernière, il sera contraint d'abjurer solennellement ses "erreurs", à genoux la main sur l'Évangile. Les Dialogues sont prohibés. Galilée est condamné à la prison à vie et astreint à réciter les sept psaumes de la pénitence chaque semaine pendant trois ans (13). La peine est non définitive, pouvant être commuée, modérée ou même levée en tout ou en partie. (14)
Certains ont cru voir dans les erreurs du procès des arguments pour attaquer diverses infaillibilités :
La bible contiendrait des erreurs.
Dans ces deux cas, il ne faut pas oublier que l'infaillibilité dont jouissent la bible et l'Église ne touche que les domaines restreints de la morale et de la foi. Brandmüller explique ce fait dans l'affaire Galilée (15). En bref, on peut dire que l'Église ne condamna pas dogmatiquement Galilée : ce fut une sanction disciplinaire. La condamnation fut le fait d'un tribunal inquisitorial et non du Magistère solennel de l'Église. Si le contraire eût été la cas, Galilée aurait probablement encouru les sévères peines réservées aux hérétiques! (16) De plus, tout dogme doit être défini ou ratifié "ex cathedra" par le Pape. Or le pape n'a même pas signé la condamnation de Galilée: chose faite par sept juges sur les dix qui constituaient le tribunal. "Ni Paul V (en 1616), ni Urbani VIII (en 1633), affirme E. Vacandard, tout en usant de leur suprême autorité dans la condamnation de la doctrine copernicienne, n'ont dressé à ce sujet une formule dogmatique que l'Église universelle dût accepter comme article de foi." (17)
Quoiqu'il en soit, le cas Galilée a été amplifié et même construit par une propagande anti-catholique, au moyen d'exagérations et de mensonges innombrables qu'il est impossible de résumer ici.
Sa fille en religion Marie-Céleste le console en lui écrivant ses encouragements et prières. De suite, son emprisonnement est commué par le pape à assignation à résidence à Rome, d'abord à la villa Medicis, résidence de Niccolini où il était resté pendant le procès, puis au palais de l'archevêque de Sienne, Piccolomini. Douce prison si l'on connaît ces palais... L'archevêque organisa de nombreuses visites: ce fût un défilé continu de personnalités. En décembre, 6 mois après son procès, il est autorisé à rejoindre sa maison de Arcetri près de Florence, avec interdiction de recevoir des visites toutefois.
Mais sa douleur va encore croître lorsqu'il apprendra la mort de sa chère fille Céleste. Il se consolera dans un travail scientifique sans précédent. Plusieurs amis veulent faire publier quelques uvres à l'étranger: le Dialogue apparaît en latin en Hollande. Galilée publie son Discours sur les mathématiques des mouvements locaux, ce qui lui a valu le nom donné en mécanique aux systèmes inertiels, les "repères galiléens", mot qu'utilisera Einstein dans sa fameuse théorie de la relativité. Ce chef d'uvre fut édité à Leyde en 1638. Galilée parle de la résistance des corps, de la structure de la matière, des principes du mouvement et de l'inertie, de la composition des vitesses, de la méthode expérimentale, de l'isochronisme pendulaire, de la chute des corps, etc.
A partir de cette année un dernier malheur s'abat sur Galilée: il devient aveugle. Certains semblent avoir inventé sur cette base le fait que le tribunal lui aurait fait crever les yeux lors de séances de torture. Sa peine ecclésiastique s'adoucit alors totalement: il reçoit des visites et l'aide directe de deux savants: Viviani et Torricelli (1608-1647), l'inventeur du baromètre. Galilée trouvera même des mérites à la logique d'Aristote. Il s'éteint le 8 janvier 1642 à son domicile, à l'âge de 78 ans, en s'unissant à Dieu, conforté de la bénédiction papale.
Son corps est inhumé dans une chapelle de la basilique de la Santa Croce à Florence. Ses amis n'obtinrent pas la permission d'ériger un mausolée en son honneur, le pape Urbain VIII jugeant peu opportun un telle décision vu les condamnations du Saint-Office. Mais 92 ans plus tard, lors de la reconnaissance de l'héliocentrisme, la permission fut accordée et les restes de Galilée furent transportés à l'intérieur de l'église avec une plaque commémorative apposée sur le nouveau tombeau encore visible aujourd'hui.
Si Galilée a souffert de l'attaque de plusieurs religieux et des tribunaux ecclésiastiques, il était soutenu par une large frange de l'Église, dont le pape. Ses disputes scientifiques au départ ont cependant glissé vers le terrain sacré de l'exégèse, et cela sur fond de crise protestante. Mais on ne touche pas à la bible même si l'on est ami du pape. La maladresse, l'audace et l'excès de confiance en ses appuis ecclésiastiques lors de la parution du Dialogue, lui valurent un abandon de la protection papale et une mise à disposition des tribunaux de l'Inquisition du Saint Office. Jugé, humilié, il s'est soumis au verdict, non seulement par peur, mais aussi par amour de l'Église.
Cette condamnation a vivement marqué le monde culturel de l'époque. Plusieurs savants ont eu peur de divulguer le résultat de leurs recherches et sont allés les éditer aux Pays-Bas, ou ont retouché leurs écrits afin de lui faire passer la censure. Ainsi en est-il de Descartes par exemple.
Au vu de ves analyses, on peut conclure à une responsabilité partagée. Mais l'Église ne voyait pas que l'intérêt scientifique: elle se sentait responsable de la sauvegarde de la foi déposée en elle, de la morale et de la stabilité de la société. Mgr Dini, disciple de Galilée, affirmait que l'erreur était d'impliquer la bible dans le débat, surtout dans une période de protestantisme et d'Inquisition: "On peut écrire comme mathématicien et sous forme d'hypothèse, comme a fait, dit-on, Copernic; on peut écrire librement, pourvu qu'on entre pas dans la sacristie." (18)
Jean-Paul II a dès le début de son pontificat voulu remettre Galilée à l'honneur. Le cardinal Poupard fut chargé par Jean-Paul II de conduire une enquête. Le résultat présenté à l'Académie des sciences fut publié dans un livre (21). JeanPaul II ne parle pas à proprement parler d'une réhabilitation. L'Eglise avec le pape Benoît XIV, avait déjà reconnu les torts de ses tribunaux depuis 1741 et avait donné l'imprimatur aux uvres de Galilée, dès que les preuves de l'héliocentrisme furent présentées. L'affaire Galilée intervint à l'aube des sciences modernes qui
avec ses méthodes et la liberté de recherche qu'elles supposent, obligeait les théologiens à s'interroger sur leurs propres critères d'interprétation de l'Écriture. La plupart n'ont pas su le faire... La majorité des théologiens ne percevaient pas la distinction entre L'Écriture Sainte et son interprétation, ce qui les conduisit à transposer indûment dans le domaine de la doctrine de la foi une question de fait relevant de l'investigation scientifique... A partir du siècle des Lumières et jusqu'à nos jours, la cas Galilée a constitué une sorte de mythe, ... le symbole du prétendu refus par l'Église du progrès scientifique, ou bien de l'obscurantisme "dogmatique" opposé à la libre recherche de la vérité... Il a contribué à ancrer de nombreux scientifiques de bonne foi dans l'idée qu'il y avait une incompatibilité entre d'un côté, l'esprit de la science et son éthique de recherche, et de l'autre, la foi chrétienne. Une tragique incompréhension réciproque a été interprétée comme le reflet d'une opposition constitutive entre science et foi... (19)
Du côté scientifique, le fond de la question sur la référence centrale de la terre ou du soleil a lui aussi été résolu:
Au temps de Galilée,... on ne pouvait situer ce point de référence que sur la terre ou sur le soleil. Aujourd'hui, après Einstein et dans la perspective de la cosmologie contemporaine, aucun de ces deux points de référence n'a plus d'importance. Cette remarque ... entend indiquer que souvent, au-delà de deux visions partiales et contrastées, il existe une vision plus large qui les inclut et les dépasse l'une et l'autre (20).
Galilée a inventé la méthode expérimentale et son travail en dehors du copernicisme n'a pas été directement entravé: on peut même affirmer qu'il a été encouragé. Selon Sanguineti, le cas Galilée est dans l'histoire de l'Église, un cas unique d'erreur de compétence grave. Ce procès lamentable ne se serait pas produit si les polémiques, jalousies et désirs de vengeance avaient été dominées tant par Galilée que par ses adversaires. Brandmüller affirme que les juges, suivant la prudence du cardinal Bellarmin, étaient eux-mêmes hésitants sur l'héliocentrisme, ce qui expliquerait la clémence de la sentence et pourquoi le chef d'accusation était réduit à une désobéissance à l'interdit de 1616.
Quelques-uns accusent l'Église de retomber dans la même erreur avec certains progrès scientifiques récents, surtout en matière d'évolutionnisme et de recherche médicale, là où l'Église remettrait ses interdits. Sur ce point, il y a amalgame et malentendu. L'Église ne remet pas en question des théories, opinions ou démonstrations scientifiques, mais bien des visions qu'elle juge soit matérialistes soit moralement fausses. La leçon de Galilée a bien été retenue par l'Église: elle se cantonne à son enseignement propre, sans intervenir sur le terrain proprement scientifique. L'Église s'occupe de foi et d'éthique (l'éthique touche tous les secteurs de la vie proprement humaine). La fécondation in vitro par exemple, ou les manipulations génétiques sur l'homme ne sont pas discutées par l'Église sous leur aspect strictement technique ou scientifique, mais bien sur leurs implications éthiques, philosophiques et théologiques. L'Église ne s'occupe pas de faire de la recherche médicale ou biologique, mais elle soutient toute recherche sincère de la vérité et elle entend diffuser - même si son action ne se limite pas à cela - un respect de la personne humaine dans toutes les activités des hommes, qu'elles soient politiques, scientifiques, artistiques ou autres. Il en va de la dignité de l'homme. Ainsi en est-il également de l'évolutionnisme qui, malgré les dires de certains chrétiens, n'est pas contraire aux enseignements de la bible, ainsi que l'a déclaré Pie XII dans l'encyclique Humani generis de 1950, et que l'a rappelé le pape Jean-Paul II lors de récentes allocutions. La seule dimension qui doit être sauvegardée dans une théorie évolutionniste compatible avec la foi, est justement le caractère spirituel qui appartient en propre à l'homme et non à l'animal, suite à une intervention qui dépasse les forces matérielles. Bref, quoique le corps humain matériel puisse venir de l'évolution matérielle, le spirituel en nous ne le peut pas : l'apparition de l'homme dans sa totalité (matérielle et spirituelle) demande une intervention spéciale.
Loin d'être une ingérence dans la juste autonomie des sciences, il s'agit d'un rappel aux responsabilités de tout homme (donc aussi le scientifique, le législateur et le politicien) face aux principes éthiques fondamentaux et à la dimension transcendante de l'être humain. Mais ce débat est d'un tout autre type que celui de Galilée. Dans le procès de Galilée, les scientifiques et l'Église ont leurs torts. L'Église a empiété sur le domaine scientifique suite aux débordements exégétiques des scientifiques. Mais la leçon a été prise des deux côtés, peut être un peu trop, vu la méfiance qui s'est installée ensuite. Le bien de la société et les exigences pastorales intervinrent aussi dans ces décisions. "Le cardinal Baronius, écrivait Galilée à la grand duchesse de Toscane, avait coutume de dire que Dieu n'avait pas voulu nous enseigner comment le ciel va, mais comment on va au Ciel." (22) C'est aujourd'hui l'opinion générale des théologiens.
Déclaration du Saint Office condamnant Galilée en 1633.
Nous prononçons, jugeons et déclarons que toi, Galilée, tu t'es rendu véhémentement suspect d'hérésie, à ce Saint-Office, comme ayant cru et tenu une doctrine fausse et contraire aux saintes et divines Écritures, à savoir: que le soleil est le centre de l'univers, qu'il ne se meut pas d'orient en occident (23), que la terre se meut et n'est pas le centre du monde (24); et qu'on peut tenir et défendre une opinion comme probable après qu'elle ait été déclarée et définie contraire à l'Écriture sainte : en conséquence, tu as encouru toutes les censures et peines établies et promulguées par les sacrés canons et les autres constitutions générales et particulières contre les fautes de ce genre. Il nous plaît de t'en absoudre, pourvu qu'auparavant, d'un cur sincère et avec une foi non simulée, tu abjures en notre présence, tu maudisses et détestes les erreurs et hérésies susdites et toute autre erreur et hérésie contraire à l'Église catholique et apostolique romaine, selon la formule que nous te présenterons.
Mais afin que ta grave et pernicieuse erreur et ta désobéissance ne restent pas absolument impunies, afin que tu sois à l'avenir plus réservé et que tu serves d'exemple aux autres, pour qu'ils évitent ces sortes de fautes, nous ordonnons que le livre des Dialogues de Galileo Galilei soit prohibé par un décret public; nous te condamnons à la prison ordinaire de ce Saint-Office pour un temps que nous déterminerons à notre discrétion, et à titre de pénitence salutaire nous t'imposons de dire pendant trois ans, une fois par semaine, les sept psaumes de la pénitence, nous réservant la faculté de modérer, de changer, de remettre tout ou partie des peines et pénitences ci-dessus. (25)
Ph. Dalleur 1998
(1) L'exemple de ce renouveau s'observe aussi par les jésuites, ce nouvel ordre religieux romain, qui devient rapidement une force intellectuelle dans la foulée du Concile de Trente. Le collège romain des jésuites avait été fondé en 1584. Il comprenait déjà de nombreuses personnalités présentes dans plusieurs sociétés savantes.
(2) Les étoiles et nébuleuses étaient fixées à la voûte céleste, le soleil et les planètes suivaient des épicycles compliquées autours de centres eux-mêmes en mouvements dits déférents.
(3) Cf. Jos. 10, 12-13.
(4) Pour Brahé, le soleil tourne autour de la terre et les planètes autour du soleil.
(5) Kepler trouvera les fameuses trois lois de révolution des planètes selon des orbites elliptiques. Il sera aussi la cible de critiques protestantes, devant quitter Wurtemberg pour ses idées coperniciennes. Remarquons que l'héliocentrisme n'est pas plus vrai que le géocentrisme. Les observations des derniers siècles nous montrent le soleil tournant sur son axe et autour du centre de notre galaxie, elle-même en mouvement dans son groupe galactique. Depuis l'avènement de la relativité généralisée d'Einstein et des géométries non euclidiennes, on parle aujourd'hui d'univers "sans centre", un peu comme dans le cas de la surface d'une sphère: cette superficie fermée et courbée ne possède pas de centre sur cette surface (ou selon les paroles d'Einstein, tout point est un centre: tout est relatif).
(6) Ils sont d'ailleurs nommés satellites galiléens: Io, Europa, Ganymède et Callisto. La lunette astronomique est aussi nommée lunette de Galilée.
(7) Le phénomène des marées est lié aux attractions gravitationnelles et aux mouvements relatifs de la terre, de la lune et du soleil. Néanmoins, l'explication de Galilée ne va pas dans ce sens.
(8) Lettre à Christine de Lorraine, 1615, in Edizione nazionale delle opere di Galileo Galilei, dir. A. Favaro, vol. 12, p. 172.
(9) Jean Paul II louera cette lettre de Galilée comme étant un véritable petit traité d'herméneutique biblique. Cf. Jean-Paul II, Copernic, Galilée et l'Église. Discours aux membres de l'Académie pontificale des Sciences (31-X-1992), dans L'Osservatore romano (éd. française), 10-XI-1992, n°45, pp. 6-7, par. 5.
(10) Jean-Paul II, op.cit..
(11) Cf. O. Gingerich, The Galileo affair, Scientific American, août 1992, p. 123.
(12) Galilée estimait que les marées étaient d'origine purement terrestre, et ne pouvaient s'expliquer que par des "secousses" dues aux mouvements de la terre. Les influences gravitationnelles de la lune et du soleil sur les océans reposants sur la terre en rotation, n'étaient manifestement pas encore connues à cette époque.
(13) Il semble que Galilée continua à réciter ces psaumes, d'une grande beauté par ailleurs, même après l'extinction du délai de trois ans.
(14) Voir annexe où je reproduis la traduction de la sentence judiciaire.
(15) Pontificia Academia Scientiarum, Copernico, Galilei e la Chiesa. Fine della controversia (1820). Gli atti del Sant'Ufficio, a cura di W. Brandmüller e E.J. Greipl, Firenze, Olschki, 1992.
(16) Il est manifeste que tant le procès de 1616 que celui de 1633 épargnent Galilée en évitant l'emploi du mot hérésie : pourtant la définition d'hérésie est formellement reprise contre l'héliocentrisme dans une expression qui ne trompe pas.
(17) E. Vacandard, Galilée, dans Dictionnaire de théologie catholique, vol. 6, col. 1081.
(18) Cité par E. Vacandard, op. cit., col. 1063.
(19) Jean-Paul II, op. cit. par. 5 à 10.
(20) Jean-Paul II, op. cit. par. 11.
(21) Card. P. Poupard, Galileo Galilei - 350 ans d'histoire, 1633-1983 (Desclée international 1983) et Dictionnaire des Religions (P.U.F. 1984; 3e éd.)
(22) Cf. E. Vacandard, op.cit., col. 1060.
(23) On sait aujourd'hui que cette première partie de la sentence est scientifiquement correcte dans le chef de l'Eglise et fausse chez les coperniciens. En effet, le soleil n'est pas plus le centre de l'univers que la terre, contrairement à ce qu'affirmaient les coperniciens. De plus Orient et Occident sont des positions relatives à l'axe de la terre, le mouvement du soleil étant alors un mouvement relatif d'orient en occident.
(24) Pour cette seconde partie, ce sont les coperniciens qui ont scientifiquement raison et la déclaration du tribunal de l'Eglise est fausse.
(25) Favaro, Le opere di Galileo Galilei, éd. nationale italienne, 1890-1908, Florence, 20 vol., t. 19, pp. 405-406.