L'Imitation de Jésus-Christ
Livre quatrième - Du sacrement de l'Eucharistie
1. Avec quel respect il faut recevoir Jésus
Voix du disciple
- Le fidèle: Ce sont là vos paroles, ô Jésus
! vérité éternelle ! quoiqu'elles n'aient pas été dites
dans le même temps et qu'elles ne soient pas écrites dans le même
lieu.
Et puisqu'elles viennent de vous et qu'elles sont véritables, je dois les recevoir
toutes avec une foi pleine de reconnaissance.
Elles sont de vous car c'est vous qui les avez dites; mais elles sont aussi à
moi parce que vous les avez dites pour mon salut.
Je les reçois avec joie de votre bouche, afin qu'elles se gravent profondément
dans mon coeur.
Ces paroles pleines de tant de bonté, de tendresse et d'amour, m'animent; mais
la pensée de mes crimes m'effraye et ma conscience impure m'éloigne d'un
mystère si saint.
La douceur de vos paroles m'attire, mais le poids de mes péchés me retient.
- Vous m'ordonnez d'aller à vous avec confiance, si je veux
avoir part avec vous, et de me nourrir du pain de l'immortalité, si je veux
obtenir la vie et la gloire éternelle.
Venez, dites-vous, venez à moi, vous tous qui souffrez et qui êtes
oppressés, et je vous ranimerai.
Ô douce et aimable parole à l'oreille d'un pécheur ! vous invitez,
Seigneur mon Dieu, le pauvre et l'indigent à la participation de votre corps
sacré.
Mais qui suis-je, Seigneur, pour oser m'approcher de vous ?
Voilà que les cieux ne peuvent vous contenir, et vous dites: Venez
tous à moi.
- D'où vient cette miséricordieuse condescendance, une
si tendre invitation ?
Comment oserai-je aller à vous, moi qui ne sens en moi-même aucun bien
qui puisse me donner quelque confiance ?
Comment vous recevrai-je en ma maison, moi qui ai si souvent outragé votre bonté
?
Les anges et les archanges vous adorent en tremblant, les saints et les justes sont
saisis de frayeur; et vous dites: Venez tous à moi !
Si ce n'était vous qui le dites, Seigneur, qui pourrait le croire ?
Et si vous n'ordonniez vous-même d'approcher de vous, qui en aurait l'audace
?
- Noé, cet homme juste, travailla cent ans à construire
l'arche, pour se sauver avec peu de personnes; et moi, comment pourrai-je en une
heure me préparer à recevoir dignement le Créateur du monde ?
Moïse, le plus grand de vos serviteurs, pour qui vous étiez comme un ami,
fit une arche de bois incorruptible, qu'il revêtit d'un or très pur, afin
d'y déposer les tables de la loi; et moi, vile créature, j'oserais recevoir
si facilement le fondateur de la loi et l'auteur de la vie !
Salomon, le plus sage des rois d'Israël, employa sept ans à élever
un temple magnifique à la gloire de votre nom; il célébra pendant
huit jours la fête de sa dédicace; il offrit mille hosties pacifiques et,
au son des trompettes, au milieu des cris de joie, il plaça solennellement l'arche
d'alliance dans le lieu qui lui était préparé.
Et moi, misérable que je suis et le plus pauvre des hommes, comment vous introduirai-je
dans ma maison, moi qui sais à peine employer pieusement une demi-heure ? Et
plût à Dieu que j'eusse une seule fois employé dignement un moindre
temps encore !
- Ô mon Dieu ! que n'ont point fait ces saints hommes pour
vous plaire, et combien, hélas ! ce que je fais est peu ! combien est court
le temps que je consacre à me préparer à la communion !
Rarement suis-je bien recueilli, plus rarement suis-je libre de toute distraction.
Et certes, en votre divine et salutaire présence, nulle pensée profane
ne devrait s'offrir à mon esprit, nulle créature ne devrait l'occuper,
car ce n'est pas un ange, mais le Seigneur des anges que je dois recevoir en moi.
- Quelle distance infinie, d'ailleurs, entre l'arche d'alliance
avec ce qu'elle renfermait, et votre corps très pur avec ses ineffables vertus;
entre les sacrifices à venir, et la véritable hostie de votre corps, accomplissement
de tous les anciens sacrifices !
- Pourquoi donc ne suis-je pas plus enflammé en votre adorable
présence ?
Pourquoi n'ai-je pas soin de me mieux préparer à la participation de vos
saints mystères, lorsque ces antiques patriarches et ces saints prophètes,
ces rois et ces princes avec tout leur peuple, ont montré tant de zèle
pour le culte divin ?
- David, ce roi si pieux, fit éclater ses transports par des
danses religieuses devant l'arche, se souvenant des bienfaits que Dieu avait répandus
sur ses pères; il fit faire divers instruments de musique, il composa des psaumes
que le peuple chantait avec allégresse, selon ce qu'il avait ordonné, et,
animé de l'Esprit-Saint, souvent il chantait lui-même sur sa harpe; il
apprit aux enfants d'Israël à louer Dieu de tout leur coeur et à unir
chaque jour leurs voix pour le célébrer et le bénir.
Si la vue de l'arche d'alliance inspirait tant de ferveur, tant de zèle pour
les louanges de Dieu, quel respect, quel amour ne doit pas m'inspirer, et à
tout le peuple chrétien, la présence de votre Sacrement, ô Jésus
! et la réception de votre corps adorable !
- Plusieurs courent en divers lieux pour visiter les reliques des
saints; ils écoutent avidement le récit de leurs actions; ils admirent
les vastes temples bâtis en leur honneur, et baisent leurs os sacrés, enveloppés
dans l'or et la soie.
Et voilà que vous-même, ô mon Dieu ! vous êtes ici présent
devant moi sur l'autel, vous le Saint des saints, le Créateur des hommes, le
Roi des anges.
Souvent c'est la curiosité, le désir de voir des choses nouvelles, qui
fait entreprendre ces pèlerinages; et de là vient que, guidé par ce
motif frivole, sans véritable contrition, on en tire peu de fruit pour la réforme
des moeurs.
Mais ici, dans le sacrement de l'autel, vous êtes présent tout entier,
ô Christ Jésus ! vrai Dieu et vrai homme, et toutes les fois qu'on vous
reçoit dignement et avec ferveur, on recueille en abondance les fruits du salut
éternel.
Ce n'est pas la légèreté, ni la curiosité, ni l'attrait des sens,
qui conduit à ce banquet sacré; mais une foi ferme, une vive espérance,
une charité sincère.
- Ô Dieu Créateur invisible du monde ! que vous êtes
admirable dans ce que vous faites pour nous ! avec quelle bonté, quelle tendresse
vous veillez sur vos élus, vous donnant vous-même à eux pour nourriture
dans votre Sacrement !
C'est là ce qui surpasse toute intelligence, ce qui, plus qu'aucune autre chose,
attire à vous les coeurs pieux et enflamme leur amour.
Car vos vrais fidèles, occupés toute leur vie de se corriger, puisent dans
la fréquente réception de cet auguste sacrement une merveilleuse ferveur
et un zèle ardent pour la vertu.
- Ô grâce admirable et cachée du sacrement, connue
des seuls fidèles serviteurs de Jésus-Christ ! car les serviteurs infidèles,
asservis au péché, ne peuvent en ressentir l'influence.
La grâce de l'Esprit-Saint est donnée dans ce sacrement; il répare
les forces de l'âme et lui rend la beauté première, que le péché
avait effacée.
Telle est quelquefois la puissance de cette grâce et la ferveur qu'elle inspire,
que non seulement l'esprit, mais le corps languissant en reçoit une vigueur
nouvelle.
- Et c'est pourquoi nous devons déplorer avec amertume la tiédeur
et la négligence qui affaiblissent en nous le désir de recevoir Jésus-Christ,
unique espérance des élus et leur seul mérite.
Car c'est lui qui nous sanctifie et qui nous a rachetés; il est la consolation
de ceux qui voyagent sur la terre et l'éternelle félicité des saints.
Combien donc ne doit-on pas gémir de ce que plusieurs montrent tant d'indifférence
pour ce sacré mystère, qui est la joie du ciel et le salut du monde !
Ô aveuglement, ô dureté du coeur humain ! d'être si peu touché
de ce don ineffable, qu'il semble perdre de son prix à mesure qu'on en use davantage
!
- Si cet adorable sacrement ne s'accomplissait qu'en un seul lieu
et qu'un seul prêtre dans le monde entier consacrât l'hostie sainte, avec
quelle ardeur les hommes n'accourraient-ils pas en ce lieu, vers ce prêtre unique,
pour voir célébrer les saints mystères !
Mais il y a plusieurs prêtres, et le Christ est offert en plusieurs lieux, afin
que la miséricorde et l'amour de Dieu pour l'homme éclatent d'autant plus,
que la sainte communion est plus répandue dans le monde.
Je vous rends grâce, ô Jésus, pasteur éternel, qui dans notre
exil et notre indigence, daignez nous nourrir de votre corps et de votre sang précieux,
et nous inviter de votre propre bouche à la participation des ces sacrés
mystères, disant: Venez à moi, vous tous qui portez votre fardeau avec
travail, et je vous soulagerai.