Réflexion de Lamennais - Livre 4, chapitre 10
Qu'il faille exciter les chrétiens à s'asseoir à la Table sainte, à se nourrir du pain de vie, à recevoir en eux l'auteur et le consommateur de la foi, le Sauveur des hommes, le Verbe de Dieu; qu'ils cherchent de tous côtés des prétextes pour se tenir éloignés de lui; qu'ils regardent comme une dure obligation le devoir qu'impose l'Eglise de participer en certains temps au corps et au sang de Jésus-Christ, c'est quelque chose de si prodigieux et tout ensemble de si effrayant, que l'âme fuit cette pensée comme elle fuirait une vision de l'enfer.
Mais parmi les fidèles que l'amour attire au banquet de l'Epoux, il en est qui, abusés par de tristes et fausses doctrines, ou retenus par les scrupules d'une conscience timide à l'excès, ne se croient jamais assez préparés et se privent volontairement de la divine Eucharistie, à cause du respect même que leur inspire cet auguste sacrement. Sans doute il serait à désirer que ceux qui mangent le pain des Anges eussent toute la pureté de ces célestes esprits; mais Celui qui connaît notre misère, et qui est venu la guérir, n'exige pas que l'homme soit parfait pour approcher de la source des grâces; il demande seulement qu'il soit purifié par la pénitence, et qu'il apporte au pied de l'autel un cœur contrit et humilié, un repentir sincère de ses fautes, une volonté droite, un amour ardent.
Tandis que Jésus repousse et maudit les pharisiens, superbes observateurs de la loi, il accueille la femme pécheresse, il compatit à son humble douleur, il bénit ses larmes, et beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé. Trop souvent les apparentes délicatesses de conscience qui séparent longtemps de la Communion, cachent un grand et coupable orgueil. Au lieu de s'abandonner aux conseils du guide qui tient la place de Dieu, on veut se conduire et se juger soi-même: erreur funeste dont le dernier terme, le terme inévitable est, ou le désespoir, ou une effroyable présomption. Ne quittez, ne quittez jamais la voie de l'obéissance: toutes les autres aboutissent à la perdition. Si l'on vous interdit l'accès à la Table sainte, abstenez-vous, et pleurez: car quel sujet plus légitime de pleurs ? Si l'on vous dit: Allez à Jésus dans le Sacrement de son amour, approchez avec allégresse. Nulle disposition n'égale le sacrifice entier du raisonnement humain et de la volonté propre; ayez en tout et toujours la simplicité d'un petit enfant: la simplicité du cœur est chère à Dieu; il la bénit pour le temps; il la bénit pour l'éternité.