1. Réflexions heuristiques sur la datation au C14 pour de nouvelles voies de recherche

Les résultats de la datation au C14 du linceul de Turin ont souvent été critiqués ces dernières années. Cependant, on peut estimer que les trois laboratoires sont de bonne foi, mais si les mesures sont probablement correctes, on ne peut d’emblée être d’accord avec leurs interprétations en terme de datation. Suite à l’analyse des résultats des mesures, on peut avancer les critiques suivantes, parmi beaucoup d’autres :

Indices d'une distribution non uniforme de C14: une "image radioactive" serait-elle incrustée dans le tissu?

Pour ce qui est de la datation, la variation, non négligeable, observée dans les concentrations en C14 sur une petite distance (quelques centimètres) pourrait très bien ne pas être attribuable aux erreurs de mesure, comme les trois laboratoires le laissent entendre: elle semble même indiquer que le linceul possède une répartition non uniforme de C14. Au lieu d’étudier cette hypothèse d’explication, et de se poser d'avantage de questions, on n’a considéré que l’interprétation en termes de datation. Suite aux résultats trop divergents, l'erreur estimée pour le laboratoire d'Arizona semble intentionnellement élargie, ainsi que l'intervalle de confiance des mesures. Le niveau significatif de 5% est tout juste acceptable comme l'admettent les laboratoires. Mais, R. Van Haelst a repris les calculs: ils montrent que le niveau significatif (N.S.) n'est en réalité que de 1,3%, ce qui rend totalement inacceptable la datation comme telle (voir aussi le numéro 337 de Nature, février 1989, pp. 611-615):  

Age B.P.

Arizona

Oxford 

Zurich

Moyenne

Chi2

N.S.

Revue "Nature"

646±31

750±30

676±24

689±16

6.4

5 %

R. Van Haelst

646±17

749±31

676±24

672±13

8.4

1.3 %

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  Résultat de datation par calculs statistiques sur les mesures d'échantillons.

L'interprétation la plus logique et la plus probable est que les échantillons possèdent des concentrations différentes en carbone 14, ainsi que le fait remarquer Van Haelst. On serait tenté de rejeter en bloc les mesures réalisées jusqu'ici, comme étant celles d'échantillons non représentatifs du Suaire. Dans ce cas, on propose de mieux choisir de nouveaux échantillons. Mais, on peut aussi penser que la concentration en C14 est non uniformément répartie sur le linceul. Des résultats divergeant aussi fort pour un bout de 7 cm², laissent prévoir des divergences bien plus importantes pour des échantillons plus éloignés l'un de l'autre.

D'ailleurs deux mesures non officielles de 1980 viennent corroborer cette dernière hypothèse. Les trois échantillons de 1988 ont été pris pratiquement au même endroit, dans un coin du tissu (sur la figure 1: échantillon A remis à Tucson Arizona, B à Zurich, C à Oxford).Figure 1 : Emplacement des échantillons Un prélèvement de différents petits échantillons en divers endroits aurait été préférable et aurait aisément mis en évidence le type de répartition de C14 dans le tissu. Mais à ces prélèvements officiels, il faut ajouter celui de 1973 à des fins d'analyse textile par le prof. Raes de l'université de Gand. En 1979, l'un des initiateurs de la méthode de datation AMS, le prof. Gove de l'université de Rochester, et son collègue Harbottle, obtiennent la permission de réaliser deux mesures à partir du morceau prélevé en 1973: les résultats divergent fortement, non seulement entre eux (1750 ans et 950 ans d'âge B.P. - Before Present), mais aussi avec les résultats officiels postérieurs. M.C. van Oosterwyck a replacé ces résultats dans un graphique très intéressant (Le sel de la terre, n°20, 1997, pp.32-54; reproduit ici à la figure 2), mettant en évidence une dérive radioactive entre l'intérieur du linceul et son bord. La plupart des scientifiques ont rejeté les mesures de Gove et Harbottle réalisées en 1979-1980 (publiées par Sox, H. David, The Image on the Shroud. Unwin, London, 1981, 161-167) parce qu'elles n'étaient pas réalisées dans des conditions suffisamment fiables: les échantillons de 1973 non prélevés en présence du prof. Raes ont très bien pu être contaminés et peut-être même substitués (voir Meacham, 1986). Cette dernière assertion me semble peu probable: le professeur Raes qui a obtenu l'échantillon pour analyse textile, semble les avoir conservé pendant plusieurs années dans un livret de timbres-poste. Mais, chose remarquable, si contamination il y a eu, les résultats auraient dû donner un rajeunissement apparent du tissu (donc un âge inférieur à 750 ans environ), or on observe deux mesures qui donnent des âges de 950 et 1750 ans! Ajoutons encore que J.-B. Rinaudo a démontré expérimentalement un nouveau fait intéressant: un tissu de lin daté de 3.400 avant Jésus Christ, irradié pendant 20 minutes par un flux de neutrons dans le réacteur Orphée de Saclay, a été "daté" à un âge virtuel de 46.000 ans dans le futur, simplement parce que son taux de C14/C12 a été multiplié 570 fois. De plus, le tissu laissait voir une sorte de brûlure en surface, comparable à ce qui s'observe sur le linceul.

Outre ces considérations, il existe une petite peinture représentant un linceul du Christ très similaire au Suaire de Turin, et qui semble nettement antérieure à l'âge donné par les laboratoires d'analyse du C14. Elle se trouve dans le Codex de Pray (cliquez pour voir un facsimile de l'image), conservé à Budapest et authentifié antérieur à 1192 (probablement peint aux environs de 1150), qui présente un ensevelissement et une annonce de la résurrection du Christ. On y distingue diverses ressemblances frappantes avec le Suaire de Turin: les mains de Christ, croisées, cachent le pouce (mains à quatre doigts); il n'y a pas de trace des pieds sur la face avant du Christ; le linceul de la miniature représente divers trous en forme de "L", que l'on retrouve sur le Suaire de Turin; le tissu du dessus montre des trames en Z comparables à celles du sergé 3/1 du lin du Suaire, et l'image du dos laisse voir des petites croix qui ressemblent vaguement aux traces de flagellation croisée sur le dos et les jambes du crucifié de Turin.

Toutes ces anomalies par rapport à la datation de 1988, donnent matière à critique et à réflexion.Si la répartition du carbone 14 observée est non uniforme, toute tentative de datation au C14 est bien entendu sans valeur. Avant de dater, il convenait donc de déterminer l'homogénéité de la distribution du C14, surtout suite aux différences étonnantes observées dès 1980. Une pollution du tissu peut expliquer une telle dérive de radioactivité, bien que le nettoyage ultrasonique et l'analyse microscopique des échantillons en garantissent la propreté. Dans la seconde partie de cet article, j'avance quelques propositions techniques pour cartographier la radioactivité du linceul (voir aussi mon article publié en italien et en néerlandais : Dalleur, Ph., Sindone di Torino: Tests non-distruttivi ? Collegamento pro Sindone, 1995 Juillet/Août, pp. 19-27; De Lijkwade van Turijn : Dateringsproeven mogelijk zonder schending van het linnen?, Soudarion, Brugge, 7, nr.3, dec. 1994, pp.8-10 : version française de l'article). Les cinq mesures divergeantes, actuellement disponibles (les trois officielles de 1988,Swiss Replica Watches et les deux non officielles de 1980 pour l'échantillonage de 1973), qui militent en faveur de cette hypothèse, ne permettent pas de trancher le problème, l'échantillonnage n'ayant malheureusement été réalisé que dans une seule et même zone périphérique du tissu. Le caractère mystérieux de la formation de l'image (qui apparaît comme une roussissure superficielle plus ou moins intense ou concentrée), demandait plus de circonspection dans le choix des échantillons pour datation. Il aurait ainsi été plus judicieux de sélectionner divers lieux d'échantillonnage, afin de pouvoir différencier les taux de C14 dans les zones de l'image, des taches de sang présumées, des zones périphériques, du recto et du verso de l'image, etc.

Une analyse isotopique complète aurait été souhaitable

On peut encore déplorer l'absence d'analyse isotopique complète des échantillons. Pourquoi s'être limité au carbones 12, 13 et 14? Puisque nous sommes incapables d'expliquer la formation de l'image, la mise en évidence du contenu isotopique, en particulier des éléments radioactifs, aurait pu nous donner plus d'information sur la composition du tissu et des influences qu'il aurait subi. Une analyse isotopique complète pourrait aussi, en cas d'enrichissement radioactif due à une irradition inconnue, comme le supposent Lindner et Rinaudo, conduire à une datation indirecte.

Néanmoins, les expériences à réaliser devraient conserver au maximum l'intégrité physique du linceul, considéré par beaucoup comme une relique. Les expériences de type isotopique sont destructives. Elles devraient être rares et limitées si l'on ne veut pas ronger petit à petit le tissu. Mais d'autres mesures radioactives non destructives comme celles que je propose ci-dessous, sont parfaitement envisageables et virtuellement reproductibles à l'infini.

 

2. Propositions d'expériences tenant compte de ces réflexions

Afin d'estimer la durée d'une mesure de répartition d'événements radioactifs par comptage, j'ai supposé pour mes calculs que la radioactivité qu'émet le linceul est uniquement due au C14. Ce n'est peut-être pas le cas, un enrichissement d'autres éléments radioactifs pourrait réduire le temps de l'expérience. Cependant, on peut ainsi évaluer le temps maximal qu'il faut pour obtenir une carte acceptable de la répartition radioactive: il se chiffre à plusieurs semaines (voir annexe 1).

Ayant pris contacts avec divers spécialistes, les avis semblent partagés sur la faisabilité d'une telle mesure: est-elle techniquement réalisable? De fait, la variation de radioactivité à mesurer est du même ordre de grandeur que la radioactivité ambiante (mais, je le répète, il se peut que la radioactivité du linceul soit plus élevée). D'autres affirment que les mesures actuelles de radioactivité ambiante sont suffisamment précises: car elles évaluent parfaitement les variations de radioactivité : or, on n'en demande pas plus pour l'expérience préconisée, qui n'exige pas une mesure précise, mais bien sensible.

La mesure, plus qualitative que quantitative, est comparable à l'autoradiographie activée par neutrons lents pour les analyses d'oeuvres d'art. Mais ici, il ne s'agit surtout pas d'activer le Suaire, ni de le dater par comptage radioactif, mais d'observer grosso modo la répartition superficielle de sa radioactivité naturelle. Plus long sera le temps de mesure, plus précise sera la carte radioactive obtenue. Par ailleurs, il existe des méthodes qui permettent de rejeter les mesures parasites. Les possibilités qui me semblent réalisables techniquement sont les suivantes.

  1. On pourrait mesurer directement le taux de C14 ou la radioactivité superficielle par échantillonage dans diverses zones éloignées du linceul: zone de l'image visible (roussie), zones périphériques, recto et verso, tissus ajoutés lors de réparations, etc. Le grave inconvénient est bien entendu la destruction de petites parties du linceul.

  2. Pour ce qui est d'expériences non destructives, une série d'expériences peu coûteuses et faciles à mettre en oeuvre pourraient servir de test initial. Un compteur Geiger à fenêtre mince devrait pouvoir déterminer la répartition en surface de l'intensité radioactive du C14 et éventuellement manifester d'autres sources radioactives. La fenêtre doit être mince pour éviter l'absorption des rayons ß-. Le calcul montre que l'absorption de ß- d'énergie initiale maximale de ± 150 KeV (pour le C14) dans les matériaux courants est complète après quelques dixièmes de millimètres, alors qu'ils parcourent plusieurs centimètres dans l'air. De plus, le tissu lui-même absorbe les ß- émis depuis son intérieur, ce qui donne une distribution statistique bien connue (Cf. par exemple W.R. Leo, Techniques for Nuclear and Particle Physics Experiments, Spinger-Verlag, 1987, pp. 40-50. ou encore K.S. Krane, Introductory Nuclear Physics, Wiley & Sons, 1988, pp. 196-197). Si un quelconque enrichissement a été localement plus important, ou si d'autres éléments plus énergétiques sont présents, la mesure sera plus aisée (Il se pourrait ainsi que des zones de l'image soient "datées" dans le futur). Mais nous n'en savons rien à priori et nous tablons ici sur l'unique présence de C14 aux concentrations habituelles.

  3. Une autre possibilité plus compliquée est semblable à ce que l'on utilise en biologie, l'autoradiographie du linceul. Celle-ci peut être de deux types :

    • par procédés de contacts photographiques (émulsions photographiques hypersensibilisées aux radiations ß- par exemple): ce procédé est relativement bon marché;

    • par scanner scintigraphique (à semiconducteurs par exemple, par chambre proportionnelle, etc): ce procédé a l'avantage de pouvoir être totalement informatisé, rendant facile le filtrage numérique et une analyse des images. Les détecteurs à semiconducteurs micro-strip ou CCD sont particulièrement intéressants. Signalons que selon divers spécialistes , on est parvenu, grâce aux chambres proportionnelles, à des mesures 1000 fois plus sensibles que la méthode classique par contacts photographiques (voir annexe 2).

    Ces procédés exigent néanmoins la mise au point d'appareillages plus ou moins sophistiqués. La chambre proportionnelle par exemple, devrait être appliquée le plus près possible du linceul, avec une fenêtre mince comme pour le Geiger cité ci-dessus. Le système à semiconducteur, quant à lui, pourrait même faire des mesures sans fenêtre.

  4. Des expériences légèrement destructives pourraient analyser la composition isotopique complète d'échantillons choisis dans diverses zones éloignées, ou de fibres superficielles et intérieures. Ces résultats pourraient révéler le type de production de l'image. L'échantillonage d'une zone roussie de l'image, s'il est accepté, devrait se faire dans une des parties les moins intéressante de l'image du crucifié, par exemple le "dos" de l'homme du linceul, ou la zone entre les faces avant et arrière de la tête. De fait, cette destruction serait d'autant plus navrante que les résultats s'avèrent concluants. De plus, le risque est grand de considérer l'échantillonage comme étant trop restreint: il resterait donc trop peu représentatif si nos mesures sont encore aussi dispersées que les cinq mesures disponibles atuellement.
  5. Si les résultats des expériences 2 et 3 sont probants, il sera intéressant d'analyser la corrélation spatiale entre les mesures radioactives et l'image visible, afin de voir si cette dernière est doublée d'une "image radioactive" invisible ou si au contraire, il y a eu implantation d'ions radioactifs indépendamment de la constitution de l'image (par exemple par l'effet Kouznetsov).

Notons que si l'effet Kouznetsov a influencé le taux de C14 lorsque le linceul était plié, il sera probablement plus marqué sur la face exposée à l'incendie et proche du cadre en argent que sur les zones plus protégées. Cet effet différentiel devrait être mis en évidence par les expériences 2 et 3 que je préconise.

Dans tous les cas, il conviendra de réduire autant que possible l'influence du "bruit de fond" radioactif sur les mesures. Pour ce faire, plusieurs techniques sont possibles:

 

3. Conclusions

Il serait opportun de constituer un comité scientifique déterminant les voies expérimentales et les démarches à suivre avant de les transmettre pour analyse au Vatican, ou au Cardinal chargé de la conservation du linceul (actuellement le cardinal Saldarini), afin de procéder à une nouvelle série d'expériences. La démarche que je propose reprend le plan suivant:

a) dans un premier temps, faire des expériences peu coûteuses mais déterminantes:

b) si les résultats précédents sont positifs, passer à des expériences plus honéreuses (scanner ultra-sensibles avec blindages, filtres et analyse numérique, analyse statistique de corrélation entre résultats obtenus et l'image visible). Observer ensuite une éventuelle corrélation avec l'image visible.

 

Informations supplémentaires



Facsimile reproduisant le Codex de Pray, conservé à Budapest et daté de ±1150 (Pray était un jésuite du 18e s.).

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Annexe 1

Un gramme de carbone naturel pur donne environ 10,5 désintégrations par seconde. Voici les données approximatives de l'échantillon de datation en 1988:

Poids de l'échantillon : 0.5 gr
Dimension de l'échantillon : 7 cm²
Demi-vie du C14 : 5760 ans

Résultats des calculs :

D'après cette estimation, on aurait environ 1 désintégration toutes les 154 secondes par cm² de tissu neuf. Un âge de 700 ans demandera environ 167 sec [~ 154 sec x 2700/5760]. L'utilisation de la courbe de correction de Stuiver-Pearson ou de Suess donnerait un résultat du même ordre de grandeur. Dans le cadre de calculs approximatifs et démonstratifs comme ici, on peut donc estimer que la durée de l'expérience soit de plusieurs semaines voire mois.

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Annexe 2

Parmi les techniques modernes d'autoradiographie, celle du MSA-MWPC (MultiStep Avalanche - MultiWire Proportional Chamber), utilisée depuis 1985 en électrophorèse et chromatographie, permet d'obtenir une carte radiographique (pour le séquençage de l'ADN par exemple) par usage d'isotopes à désintégration ß- comme C14, P32, S35, H3, etc. Sa sensibilité est excellente (1000 fois supérieure à la technique des films "contact"), et sa résolution spatiale est de l'ordre du millimètre. Les films demandaient des contacts avec l'échantillon de plusieurs semaines, voire mois. Aujourd'hui, grâce à ces nouvelles techniques, quelques heures peuvent suffire (Cf. Webb, S., The physics of Medical Imaging, in Medical Science Series, 1990, pp. 171-181, 309-318). Pour des mesures sur le linceul, il faudra utiliser ou concevoir un détecteur autoradiographique extrêmement sensible dans la bande des basses énergies (50 à 500 KeV), en blindant au maximum les influences parasites.

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Abbé Ph. Dalleur
Docteur en Sciences appliquées
Docteur en Philosophie

Autres sites intéressants



Le site http://www.shroud.com donne accès à toute sorte d'informations sur le Suaire. Vous pouvez également voir le site http://sindone.torino.chiesacattolica.it. Un Newsgroup est accessible: news:alt.turin-shroud.

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